Dyana chevauchait avec aisance sur les larges rues de Drahan ou encore sur les routes sinueuses qui menaient droit au temple d’Aren. Ce lieu de culte était sa destination favorite pour plusieurs raisons. D’une, dû à une éducation plus ou moins « pieuse » - n’oublions pas qu’Aren restait un dieu violent et brutal – elle ne cessait de venir à ce temple pour faire ses mille et une prières, comme la chute proche de son époux presque mort à ses yeux. De deux, c’était l’un des rares lieux où elle pouvait se rendre sans subir une incessante suite de question de la part du dit époux. De trois, c’était également le seul moment où elle pouvait chevaucher dans cette nature sauvage, s’arrêter, s’imprégner de cette forêt de pin aux alentours…

Cependant, contrairement aux autres jours où elle ne faisait face qu’au silence et au vide du lieu, elle fut interpellée par une voix masculine. Lorsqu’elle se retourna, elle vit un grand homme à l’air un tantinet « intimidant ». Au vu de ses nombreux tatouages ou encore de sa tenue, elle comprit qu’il devait appartenir à l’ordre chamanique, et suivre un enseignement religieux ardu et strict – à l’image d’Aren même, à son sens. Elle le salua donc avec les règles d’usage.

- D’ordre spirituel. Ma famille était pieuse, et croyait fermement à Aren, à sa force, à sa puissance et à son sens de l’honneur. C’était un modèle, une source d’inspiration pour notre « tribu ».

Une source d’inspiration qui fut bafouée par la volonté d’un vieillard sénile. En effet, au sein de sa famille, on « n’obtenait » la main de la fille qu’en travers une présentation de la force du futur époux en travers d’un combat. Gagnant ou perdant, l’adversaire ou les « spectateurs » décidaient si le fameux parti était apte ou non, honorable ou non, pour la demoiselle voulue. Malheureusement, son époux n’avait rien fait de cela. Dépassant la cinquantaine, il avait opté pour la solution de « facilité », invoquant une « dette » de vie.

- Cependant, les prières changent d’un lieu à un autre je crois bien. Je trouve que beaucoup des croyants sont bien calmes ici, alors que de là où je viens, on n’hésite pas à faire plusieurs cérémonies où nos plus grands guerriers – voire guerrières – combattent amicalement. Ici, je ne sais guère comment prier.

Des combats amicaux où plus d’un ont fini aux mains de quelques guérisseurs ou guérisseuses.

- Je suis Dyana Sryngur, épouse de Dar Aran.

Les Sryngur étaient réputés pour être de coriaces rancuniers mais également d’excellents traqueurs et pisteurs sur tout Dragnar. Tant pour leurs exploits militaires que pour les histoires sanglantes à leur sujet, on changeait rarement le nom de jeune fille de la nouvelle épouse Sryngur, comme un rappel ou un avertissement pour l’entourage et le mari même. Est-ce que ce mystérieux être connaît cette famille ou alors est-il un autre ignorant ? S’il ignorait les Sryngur, il ne pouvait guère ignorer Aran, un « honnête » marchant qui marchander plus d’une marchandise par la voie des mers, emportant souvent la marchandise d’autrui. Bref, un « transporteur », ou « exporteur / importateur » en somme. Mais il n’était guère « célèbre » uniquement pour ça, mais également pour le fait d’avoir pris une troisième épouse - les deux autres sont mortes – d’une trentaine ou quarantaine années sa cadette. Mais voilà une histoire célèbre pour ceux avides de potins ou pour les plus proches …

Les paroles de cet homme « amusaient » Dyana. Il semblait connaître son époux – qui ne connaîtrait pas ce riche marchand qui a épousé une demoiselle de quarante ans sa cadette et bien trop belle pour lui ? – et avoir un avis aussi médiocre qu’elle. Un petit sourire se dessinait et s’élargissait quand il parla des défuntes épouses de son époux.

- Malgré mon mariage, on maintient mon nom de jeune fille, comme pour rappeler à chacun qui je suis. Et ce dont je suis capable. Si jamais je meurs dans des conditions « inhabituelles », ma famille ne risque guère d’oublier.

Et un Sryngur avait la rancune tenace. Il traquait jusqu’au bout, et malgré les années. Ainsi, lorsque l’on se pensait en sécurité, et en paix, ces impitoyables Chasseurs viennent afin de tout détruire et obtenir leur « dû » soit une vie ou alors un bras ou alors une langue ou un tout autre morceau d’anatomie, à la hauteur de l’affront causé.

- Je m’en moque donc. Je n’ai que dix-huit ans et je suis d’une excellente santé. Celui qui a à périr est lui, et non moi, conclut-elle avec un certain ton hautain et arrogant.

Elle se tut un court instant, curieuse de plus en plus de la véritable identité de cet homme. En effet, elle s’était présentée mais ce n’était guère le cas pour sa part. Elle tenta de se rappeler des dernières cérémonies religieuses mais aucun nom ne lui venait à l’esprit. Certes, elle voyait les apprentis, mais aucun n’est présenté au peuple. Ce n’est que le « Chaman » ou « l’Apprenti » et rien d’autre.

- J’espère retrouver un peu de solitude au temple d’Aren. J’avoue que le commerce n’est guère mon domaine. Comme vous l’avez si bien souligné, c’est la chasse, la liberté, la traque qui me définissent réellement.

Elle se tut un court instant, et se reprit. Elle espérait qu’en bon « religieux », il n’ira guère répéter à quiconque tout cela. Quoique, elle ne comptait pas révéler un quelque secret d’état.

- Au sein de notre famille, il arrive que les hommes ont à prouver leur bravoure en travers de différentes épreuves pour obtenir la main d’une Sryngur. De même pour les femmes qui convoitent nos hommes. Mon époux a opté pour une solution de facilité, faisant appel à une dette de vie que mon père aurait à son encontre. Et ainsi, il se maria à moi … sans rien prouver.

Elle finit par se relever pour s’approcher un tantinet de cet homme et le fixer droit dans les yeux.

- Mais la cinquantaine passée, nous n’avons plus grande force pour prouver quoi que ce soit.

Que ce soit en tant que Dragnarien ou en tant qu’Epoux, il ne satisfaisait nullement la demoiselle. Elle comptait réellement chaque jour qui la séparait de sa « liberté ». Elle ne restait là que pour cette maudite promesse, ou encore pour l’héritage qu’elle pourrait hériter. Certes, elle n’avait jamais été matérialiste mais elle avait tant supporté et elle avait un tantinet apprécié le confort de cette grande demeure qu’elle trouvait « normal » que tout lui soit accordé. Avoir gaspillé deux années de sa jeunesse était déjà de trop…

- Allez-vous me « vendre » à ce « richissime » époux en lui rapportant tout ce que je viens de dire ? demanda-t-elle avec un petit sourire malicieux.

Il pourrait la « vendre » mais voilà longtemps qu’elle ne craignait plus son courroux. Un jeu s’était enclenché dans ce couple à qui taperait le plus fort sur l’autre…